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Fabien Gaston Razakandrainibe, Ph.D

Docteur en Ecologie, Génétique de population et Parasitologie.

Bonjour Monsieur Razakandrainibe,

Permettez-moi, tout d’abord, de vous remercier de nous accorder de votre temps pour faire bénéficier nos lecteurs de votre expertise en matière d’écologie et d’environnement.

  • Pour débuter notre entretien, j’aimerais connaitre la définition que vous donnez au terme « écologie » et la place qu’elle occupe dans votre vie au quotidien ?

L’écologie couvre un domaine très vaste et complexe. Je serais bien obligé de choisir un champ bien défini pour essayer d’apporter une tentative de définition qui ne comprendrait pas tout.  La définition la plus consensuelle et qui se rapproche le plus de la mienne est « l’étude des écosystèmes, des relations des organismes avec leur environnement ». Faire de l’écologie est un appel à vivre en permanence, en pleine conscience, que tout ce qui nous entoure et nous englobe, est en interaction permanente. Comprendre et intérioriser cela est fondamental pour appréhender le problème écologique, la crise climatique que nous vivons ou traversons actuellement.

Avec un peu de recul, ma conception ou ma définition de l’écologie n’est pas restée la même qu’hier. Aujourd’hui, elle a évolué et continue à évoluer en permanence sous plusieurs significations mais aussi avec différentes compréhensions, actions et engagements.  L’écologie s’est revêtue de plusieurs conceptions, elle s’est présentée à moi sous plusieurs formes. Et ce, avec des perceptions différentes à chaque phase de ma vie. Cela passait de la contemplation insouciante et de l’amour de la nature de jeunesse, en passant par un désir ardent et passionné de la connaître, cela explique le passage par la poursuite d’une formation académique. Par la suite, c’est en sentant la menace perpétrée à la nature et en voyant les victimes collatérales que naquit ma volonté et la nécessite de protéger la nature. Cela s’est traduit par une forme éducatrice, militante et politique. Aujourd’hui, l’écologie occupe une place importante dans ma vie, voire centrale dans mes choix au quotidien. J’arrive à un stade où j’ai besoin de faire la synthèse de tout cela avec le souhait de mener des actions plutôt tournées vers une certaine conception de l’écologie plus engagée, plus citoyenne, avec une forte envie de transmettre, de donner l’exemple et de bâtir.  C’est mon humble souhait d’impacter là où je suis. C’est en cela qu’on en revient à cette idée d’interaction « positive » avec ce qui m’entoure.

  • Vous avez passé au moins dix ans à vous sensibiliser et à étudier l’écologie, jusqu’à obtenir un doctorat. Pensez-vous précisément que respecter l’environnement doit s’apprendre ? Si oui, devrions-nous sans tarder l’enseigner à l’école des le plus jeune âge au même titre que n’importe quelle autre matière ?

Il y a des sociétés qui n’ont pas d’universités ni de bancs d’école mais qui ont réussi à vivre en harmonie avec la nature tout en respectant cette dernière. Mais il ne faut se méprendre, ces sociétés-là ont développé une certaine forme d’apprentissage que la société moderne a abandonné en les qualifiant de sauvage ou primitif. Mais il faut se rendre à l’évidence, elles ont développé des capacités que nous avons, hélas, perdues aujourd’hui : l’observation, l’autonomie, l’amour, la patience et l’apprentissage en vivant au sein même de la nature. Elles ont construit des connaissances fines sur leur environnement et ont su gérer et mettre en place des interactions viables et durables, gagnant-gagnant, aussi bien pour l’homme que pour la nature. Avec toutes les connaissances acquises et transmises de générations en générations, elles ont développé un sens inné et aiguë sur la façon de maintenir leur écosystème en harmonie. C’est l’excellence même du modèle de respect de l’environnement. Des cas d’usage qui ont montré leur efficacité et qu’il nous faut étudier.

Bien sûr l’apprentissage est indispensable, mais sous quelle forme ? Nous avons des têtes pensantes, des gens hyper-diplômés qui n’ont jamais mis les pieds dans une forêt tropicale dense humide mais qui veulent la défendre en prenant, parfois, les décisions contraires. Combien de décisions politiques sont vouées à l’échec car les théories issues des têtes bien pleines ne suffisent pas. Il est temps et indispensable d’intégrer dans cet apprentissage, dans l’éducation environnementale dès la petite enfance, la pleine conscience de la notion de la cause à effet, car l’écologie c’est ça, c’est l’interaction de soi-même avec son environnement. Comme on dit, « Le battement d’ailes d’un papillon peut engendrer un typhon à l‘autre bout du monde », quand on aura appris ou saisi le sens profond de cela, on fera plus attention à chacune de nos actions, nos décisions, nos choix dans ce monde où nous ne faisons qu’interagir les uns avec les autres.

  • Personnellement, qu’est-ce qui vous a amené à étudier l’écologie ?

La beauté. Je crois que la nature est belle par excellence, sans que l’on ait besoin d’ajouter quelque chose ou qu’on ait besoin d’un quelconque artifice pour l’embellir. La nature se suffit à elle-même. Elle est partout. Elle est extrêmement et parfaitement sophistiquée et bien ordonnée pour un œil qui sait la regarder. Plus on comprend les sens et les significations de toutes les interactions qui nous entourent, plus l’émerveillement est grand.

  • Les notions d’écologie et de protection de l’environnement font très souvent l’unanimité au sein de la sphère publique et de la classe politique dans son ensemble. Pour autant, il est facile de remarquer la différence, pour ne pas dire le gouffre, qui subsiste encore entre les paroles et les actes, comment expliquez-vous cela ?

C’est une union de façade. Nous sommes plutôt dans une sorte de déni collectif. Cela se traduit par des accords, des chartes, que chacun peut rompre à tout va, veut briser à sa guise, tente d’appliquer selon sa volonté. D’un pays à un autre, on assiste véritablement au choc entre ces deux mondes : la sphère publique et la sphère politique ou l’écologie politique. La première est souvent culpabilisée et jugée irresponsable. La deuxième est plutôt autoritaire, moralisatrice et punitive. Bien sûr, on assiste à un épuisement des ressources sans précédent. Bien sûr, le capitalisme moderne a précipité notre monde pour le forcer à entrer dans l’ère de l’anthropocène. Bien sûr, l’humanité aime voir son autodestruction en face. Bien sûr, personne ne veut plaider en faveur de la décroissance etc. etc. . Alors, oui, il s’est créé un gouffre qui sépare ces deux sphères car, trop souvent, on se trompe de cible. On ne vise pas le mal en tant que tel. La protection de la nature est reléguée au second plan. Les impératifs sociétaux, les calendriers et les intérêts politiques ne coïncident plus. Il n’y a plus d’interaction harmonieuse, certains diront que l’écologie est anti-économique et d’autres vous diront que l’économie est anti-écologique. C’est terrifiant, effrayant même de le dire : derrière tout ça, le profit et l’argent constituent en grande partie le moteur de cette bataille entre ces deux mondes à réconcilier.

  • Au hasard de promenades en forêt ou dans la nature, des déchets de toutes natures y compris des masques jetables maintenant jonchent les sols, pensez vous qu’il s’agisse simplement d’actes irresponsables isolés ou qu’au contraire, cela renseigne plus en profondeur sur tout le travail d’éducation encore à effectuer ?

Nous avons tort de réduire cela à des actes irresponsables. Au lieu de juger, il vaut mieux nous interroger nous-même :  quelles sont les chaînons de comportements qui se sont accumulés et qui ont conduit ces gens à agir ainsi ? une démarche qui serait non pas de jugement, mais qui serait au contraire plus exploratrice afin d’identifier le maillon faible pour en finir avec ces comportements. Cela peut être l’ignorance qui fera appel à l’éducation. Cela pourrait être l’irresponsabilité qui fera appel à une solution punitive. Cela pourrait être un manque d’infrastructures urbaines, qui fera appel à la compétence de nos collectivités territoriales.

Résoudre un problème sous le regard de l’écologie c’est apporter une solution à facettes multiples.

  • Au travers de la loi climat et résilience en examen en ce moment à l’Assemblée, nous avons pu noter que, finalement, très peu des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat avaient été reprises ? Comment expliquez-vous cela ?

L’écologie est l’affaire de tous. Mais d’emblée, la droite a déjà annoncé qu’elle ne va pas voter le projet de loi climat en taxant la LREM d’immobilisme et la gauche d’être versée dans le dogmatisme. L’idée de la Convention Citoyenne est louable, un élan collectif et social qui a pu être une démonstration inédite d’une certaine idée de l’évolution de notre conception d’une écologie démocratique. Mais elle devient rapidement utopique face aux enjeux politico-politiciens. Les prochaines échéances et accords électoraux qui arrivent à grand pas ont eu raison des mesures construites dans le consensus. C’est vraiment dommage que la convention citoyenne s’achève sur une fausse note. Il s’agit d’un aveuglement politique et idéologique de la rejeter. Nous ne sommes pas prêts à faire, vivre et s’engager ensemble, en matière d’écologie. Les priorités sont ailleurs.

  • Pensez vous qu’il soit difficile de légiférer des lors qu’il s’agit d’écologie, que ce soit en France ou à l’étranger ?

Je ne vous surprends pas en répondant par l’affirmative. Et c’est vraiment malheureux en regard du contexte climatique actuel. Les lobbies qui défendent des intérêts financiers et économiques sont puissants. Le départ de Nicolas Hulot du précédent gouvernement montre et illustre encore une fois que le pays, la France, mais c’est aussi valable à l’étranger, est sous influence de pressions idéologiques et sous l’emprise des lobbies. Pour aller au bout de votre question, cela nous renvoie à d’autres questions : est-ce que nous sommes déterminés à défendre l’écologie ? est-ce que nous  voulons vraiment nous libérer de ces forces aveuglantes et destructrices pour la planète ?

  • La COP 25 s’est achevée avec une entente mondiale sur des objectifs d’émissions de CO² à respecter afin de contenir le réchauffement climatique mondial, la COP 26 s’ouvrira à Glasgow en novembre prochain avec, très certainement, le constat que la grande majorité des pays signataires est très loin des engagements. Cela veut-il dire, pour vous, que nous n’arriverons pas à garder le cap fixé ? Est-il trop ambitieux ? Avons-nous d’ailleurs toujours le temps de parvenir à atteindre ces objectifs d’ici 2040 ou 2050 ?

COP 21, COP 25, COP 26 etc…Le point positif à retenir dans tout ça c’est l’éveil d’une conscience planétaire aux différents enjeux climatiques. Nous commençons à réaliser ensemble que la terre est notre maison commune et que c’est uniquement en restant ensemble, en agissant ensemble d’une manière coordonnée et harmonieuse que nous pourrons inverser la tendance du réchauffement climatique

Je crois que nous pourrons atteindre les objectifs mais au prix de quels dégâts climatiques, sanitaires, économiques et sociaux avant d’y arriver ?  En l’occurrence, la covid-19 est un avertissement pour toute l’humanité. Le changement sera une marche progressive, douloureuse et lente comparable au travail pour donner naissance à un nouveau monde porteur d’espoir pour tous.

  • Tous les pays peaufinent leurs plans de relance pour préparer l’après Covid 19. Selon vous, croissance et écologie sont-ils compatibles ou devrons-nous nous résoudre à changer nos habitudes pour préserver le monde de demain ?

Le monde d’après le Covid-19 sera différent. Peut-être l’est-il déjà. Le retour à la nouvelle « normalité » sera empreint de cette expérience inédite que l’humanité toute entière a traversé en même temps. Ces temps de confinement et de restrictions passés nous ont forcés à réviser nos priorités et nos valeurs. En cela le Covid-19 a joué un rôle transformateur. Les gens commencent ou ont commencé à réexaminer leur vie et spécialement leur rapport au travail. Ils ont besoin de changement. Ils ont besoin de donner un sens à leur vie non seulement pour leur bien-être mais aussi pour la planète. Cela va pousser les entreprises à avoir des plans stratégiques qui tiennent compte de l’environnement, du social et de la bonne gouvernance. L’écologie a donc toute sa place au cœur des politiques des entreprises de demain. Une entreprise qui a un sens elle-même et qui , en plus, permet à ses employés de donner un sens à leur travail, sera une entreprise plus résiliente que les autres. Dans ce sens, l’écologie peut être le vecteur commun de la transformation positive et de la résilience. C’est tout à fait compatible. Les entreprises peuvent bénéficier de la productivité des employés plus épanouis.

  • Avec une sensibilisation à l’écologie comme la vôtre, envisagez vous les décennies à venir avec optimisme ou pessimisme ?

Il m’arrive d’imaginer l’environnement dans lequel les générations futures vont vivre. J’avoue que c’est plutôt pessimiste, car jamais nos sociétés n’ont été menacées par autant de périls et j’ai l’impression qu’à chaque fois, on prend le mauvais chemin, les mauvaises décisions.

Mais mon optimisme est ravivé quand je vois les belles initiatives sociétales et écologiques portées par des gens, notamment des jeunes de tous les pays. Je suis persuadé qu’il y a vraisemblablement un réveil pour une conscience à l’écologie à l’echelle mondiale. La graine du changement est là, elle attend sa germination. J’espère qu’elle arrivera à résister aux forces qui tendent à détruire la Terre.

  • Une dernière question qui nous rapproche de Madagascar. Le 24 mars, nous avons publié un article sur Shaama Sandooyea, une jeune militante de 24 ans, qui a choisi d’alerter sur la pollution des fonds marins au large des Seychelles en organisant la première manifestation sous-marine mondiale, que pensez vous de ce genre d’initiatives et dans une plus large mesure, de toutes les initiatives initiées pour préserver l’environnement ? Est-ce utile selon vous ? Cela a-t-il une portée réelle et efficace au sein de nos sociétés ou bien est-ce juste des coups d’épée dans l’eau voués à subir les diktats émotionnels actuels de l’image et s’oublier tout aussi vite ?

C’est utile et a sa raison d’être. Nous devons fournir ensemble tous les efforts nécessaires, aussi minimes ou grands soient-ils, pour sensibiliser, pour éduquer, pour faire découvrir les problèmes comme les solutions. Autant d’actions qui servent à la fois à protéger mais aussi à s’émerveiller. Nous avons besoins de toutes ces initiatives transformationnelles pour la cause écologique. Il ne s’agit pas de diktats émotionnels, mais une image vaut mieux que mille paroles. Nous devons plutôt les encourager, les renforcer. Merci donc pour votre article. La clé de la réussite se trouve dans une démarche concrète et unie. Faire ensemble.

Autre fait dans l’océan Indien, l’année dernière, quand un pétrolier s’est échoué près de l’île Maurice. J’aurais bien aimé qu’il y ait une réponse concrète et coordonnée des iles de l’océan Indien face à une telle catastrophe. Nous devons envisager la création de nouvelles gouvernances écologiques locales, régionales, une organisation compétente et qui aura les moyens de protéger et d’apporter des solutions face aux catastrophes climatiques, d’œuvrer pour le maintien et la sauvegarde de la biodiversité.

Publié le 16/04/2021 09:30

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