Pour la santé et la planète, les habitudes alimentaires indiennes doivent changer.
Les changements dans les habitudes alimentaires des consommateurs sont essentiels pour atteindre la sécurité nutritionnelle et la durabilité environnementale. Les politiques gouvernementales et les innovations industrielles devraient faciliter la tâche. Le secteur alimentaire en Inde est très inefficace car il engage plus de 50 pour cent de la main-d’œuvre nationale, mais ne contribue qu’à hauteur de 17 pour cent à la valeur ajoutée brute nationale en 2017.
Le gouvernement indien enverra une représentation de son ministère de l’Agriculture et du Bien-être des agriculteurs au prochain Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires qui vise à réaliser des progrès sur les 17 objectifs de développement durable (ODD) grâce à une approche des systèmes alimentaires. Le terme « système alimentaire » désigne toutes les activités associées aux aliments provenant de leur production, de leur transformation, de leur transport et de leur consommation. La transformation des systèmes alimentaires est l’un des moyens les plus puissants et les plus efficaces de progresser vers les 17 ODD, car les systèmes alimentaires sont liés à tous les grands défis mondiaux tels que la pauvreté, la faim, le changement climatique, la perte de biodiversité et le bien-être humain.
Près de la moitié des agriculteurs indiens sont de petits propriétaires terriens marginaux (possédant moins de 2 hectares) et beaucoup vivent en dessous du seuil de pauvreté ou avec des revenus stagnants. En outre, le secteur agricole indien a des impacts environnementaux massifs. L’irrigation des cultures représente 90 % de l’utilisation de l’eau douce du pays, ce qui appauvrit les réserves d’eau souterraine et entraîne de graves pénuries d’eau potable chaque année. Plus de la moitié des terres du pays qui sont libres de glace sont consacrées à l’agriculture, empiétant sur l’habitat naturel de sa biodiversité et menaçant des milliers d’espèces d’extinction. Les engrais, les pesticides, l’utilisation du diesel et d’autres intrants agricoles émettent de grandes quantités de gaz à effet de serre qui causent le changement climatique et contribuent à la pollution des eaux souterraines et fluviales, tandis que la combustion des résidus de culture entraîne des épisodes de pollution atmosphérique chaque année. Ces dommages environnementaux entraînent des problèmes de santé humaine qui, à leur tour, se transforment en une perte nette pour l’économie nationale.
Outre tous ces coûts économiques et environnementaux pour fournir de la nourriture à sa population, l’Inde reste l’un des pays les plus mal nourris au monde souffrant d’un triple fardeau de faim (dénutrition ou carence en calories), de surnutrition (surpoids, obésité due à un apport calorique excessif) et de faim cachée (carence en micronutriments, c’est-à-dire carence en vitamines et minéraux essentiels).
Près d’un enfant de moins de 5 ans sur trois en Inde souffre de sous-alimentation avec 36 % d’insuffisance pondérale, 38 % de retard de croissance (taille courte pour l’âge) et 21 % de gaspillage (faible poids par rapport à la taille). Le nombre d’enfants ayant un retard de croissance en Inde représente près d’un tiers des cas dans le monde. Cela coïncide avec une forte prévalence de surpoids, d’obésité et de maladies non transmissibles (MNT) concomitantes, avec environ 61 pour cent des décès en Inde attribuables aux MNT en 2017 et près de 20 pour cent de la population souffrant de surpoids ou d’obésité.
En outre, près des deux tiers de la population indienne souffrent d’une carence en un ou plusieurs micronutriments nécessaires au bon fonctionnement de l’esprit, du corps et du système immunitaire. En termes de nutriments individuels, tant dans les zones rurales que dans les zones urbaines, l’apport actuel de 11 micronutriments essentiels sur 24 (fibres, fer, niacine, potassium, riboflavine, thiamine, vitamine A, vitamine E, zinc, acides gras polyinsaturés et acide pantothénique) est inférieur aux niveaux recommandés dans presque tous les États indiens et territoires de l’Union. Les régimes alimentaires moyens dans de nombreux États ne répondent pas aux besoins quotidiens en calcium et en vitamine B12. Une large proportion de la population ne peut pas s’offrir une nourriture équilibrée et cela reste bien la principale cause de l’insuffisance nutritionnelle. Toutefois, même les ménages ayant un revenu suffisant pour s’offrir une alimentation saine sont déficients en micronutriments en raison de leurs choix alimentaires quotidiens et de leur comportement de consommation. La bonne nouvelle est que des études scientifiques récentes ont permis d’obtenir des régimes alimentaires durables au niveau national et des États qui, s’ils sont adoptés, garantiront à la fois la sécurité nutritionnelle et la durabilité environnementale.
Pour passer à une alimentation durable, la population en Inde auraient besoin d’augmenter, en moyenne, la consommation de légumes de 2 fois celle des niveaux actuels; augmenter la consommation de fruits, de légumineuses et d’autres céréales secondaires (p. ex. millet, sorgho ou maïs) de 4 à 5 fois, et la consommation de noix de plus de 10 fois. La consommation d’huiles, de riz, de blé et de sucre doit être considérablement réduite par rapport aux niveaux actuels dans la plupart des États. Les régimes alimentaires durables ont été obtenus en remplaçant les aliments pauvres en nutriments et à forte empreinte environnementale par des aliments riches en nutriments et à faible empreinte. Par exemple, les émissions de carbone, l’utilisation d’eau douce, l’azote et l’application d’engrais phosphorés sont souvent plus élevées lors de la production de céréales de base très appréciées dans le pays comme le riz et le blé, que les céréales secondaires telles que le millet (bajra), le ragi, le sorgho (jowar), l’avoine, l’orge ou le maïs.
Cependant, la teneur en micronutriments par unité de poids est plus élevée dans les céréales secondaires que dans le blé et le riz. Par conséquent, le remplacement du riz et du blé par ces céréales secondaires dans l’alimentation peut créer des scénarios gagnant-gagnant pour la nutrition et les résultats environnementaux au niveau national. Le remplacement de la malbouffe rapide ou des collations riches en mauvais nutriments tels que le sucre, le sodium et les graisses saturées par des fruits et des légumes améliorera également la qualité nutritionnelle de l’alimentation quotidienne.
Le gouvernement et l’industrie ont un rôle important à jouer pour faciliter une telle transition alimentaire et, ces derniers temps, il y a aussi des signes positifs ici. Par exemple, le gouvernement indien qui a désigné 2018 comme l’année nationale du millet. Voila qui est un excellent exemple de politique de sensibilisation et de promotion de la production et de la consommation d’aliments durables.
Davantage d’incitations fiscales seraient les bienvenues de la part du gouvernement pour décourager la production d’aliments à faible teneur en nutriments et à fort impact environnemental tout en veillant à ce que les revenus des agriculteurs ne diminuent pas et à ce que les aliments nutritifs soient disponibles à des prix abordables pour les gens. Le gouvernement devrait aussi prévoir d’autres mesures comme l’amélioration du stockage et de la logistique pour minimiser les pertes alimentaires, l’expansion de la supplémentation en micronutriments et des programmes d’enrichissement des aliments, y compris les aliments riches en nutriments, dans le système de distribution publique subventionné (PDS).
Briser les cloisonnements entre les ministères et suivre une approche intégrée est la voie à suivre pour le gouvernement.
L’industrie AgriTech, naissante mais cependant en pleine expension en en Inde, possède l’occasion de compléter les efforts du gouvernement indien avec des solutions innovantes d’agriculture et de chaîne d’approvisionnement alimentaire qui profitent aux agriculteurs grâce à des améliorations de l’efficacité de la production et assurent la distribution du dernier kilomètre d’aliments sains. Un tel changement de paradigme vers des habitudes alimentaires durables incitera également les entreprises alimentaires à innover dans la transformation et la formulation de produits qui n’altètent pas le goût tout en améliorant le profil nutritionnel des aliments.
Par exemple, plutôt que d’utiliser de la farine de blé raffinée (maida) ou de riz à 100 %, les céréales secondaires ou la farine de lentilles peuvent être mélangées dans des proportions appropriées avec de la farine de blé pour faire des biscuits, des nouilles, des gâteaux, du pain, des biscuits, des bouillies.
Il est grand temps que les consommateurs indiens se sensibilisent à l’état désastreux de la santé publique, de la nutrition et de l’environnement dans le pays et créent une demande pour des produits alimentaires durables.
Changer nos habitudes alimentaires n’est pas facile certes, mais on a rien sans rien.
Source : Prof. Abhishek CHAUDHARY, spécialiste de la conservation de la biodiversité, des systèmes agricoles et alimentaires durables et l’évaluation du cycle de vie environnemental.
Publié le 17/08/2021 20:06
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